dimanche 7 octobre 2012

Le buste de Verlaine




   Il trône là, mystérieusement énigmatique, bronze vert sous les feuillages verts, de lierre et d’herbes rouges couronné. Parfois dansent mauves et jaunes en folle farandole les fleurs frivoles au pied du buste de Verlaine.
   Il trône là, vieux Chinois désabusé, indifférent aux vents, aux pluies, aux pigeons bavards ébouriffés qui le chahutent, vieux poète désenchanté toujours oublié au fond du square vert où dort un banc vert, sempiternellement vert le banc au pied du buste de Verlaine.
   Il trône sous le soleil frais du printemps. De petits enfants jouent dans les herbes libres emmêlées sous son regard de bronze plissé. Du bout des doigts ils arrachent les pétales mauves ou jaunes, les goûtent parfois, s’accrochent au lierre taciturne, et tendent les mains vers les pigeons insolents frétillants amoureux tapageurs, mais les plumes fuient au loin, là-bas, et leurs bras retombent, comme déçus, sous le regard oblique de Verlaine.
   Il trône dans l’air immobile de l’été.  Les enfants déjà sont de petits hommes qui tentent, avec des miettes, d’attraper un pigeon. Mais les vieux emplumés se gaussent, rusés, vifs et moqueurs devant la rage des braconniers. Alors les chasseurs arrachent le lierre, lianes de fortune, et ficellent d’imaginaires ennemis. Leurs assauts flétrissent les fragiles fleurs bariolées. Barbares impudents, ils ne manquent jamais de tirer la langue au vilain monsieur vert qui ne les quitte pas des yeux, yeux étrécis, scrutateurs, ne perdant rien de leurs rodomontades. Ils lui tirent la langue en s’appliquant, hilares, et s’enfuient en sautant une dernière fois par-dessus le banc vert.
   Il trône au milieu des turbulences de l’automne. De tristes feuilles froissées jonchent le banc vert esseulé. Passent et repassent de vieilles dames mécaniques, le pas de plus en plus pesant. Dans les herbes qu’octobre ensanglante, les pigeons ne s’aiment plus d’amour tendre. Le froid s’infiltre et englue. Rêve qui erre sur le bronze vert, il a un regard profond, douloureux, mélancolique à broyer l’âme, le vieux poète. Voyageur immobile, nostalgique de pays brumeux et marins, il me scrute. Mes doigts suivent les lettres gravées que protège le lierre vigilant. Qu’as-tu donc à me dire, Paul, Paul Verlaine ?
   Il trône engourdi par l’hiver. Mutique. Nul ne sait que je suis là, au fond du square vert, endormi, déserté. Ni enfants, ni pigeons affamés ou courtisans, ni fleurs mauves et jaunes, ni même promeneurs sentimentaux. Il y a seulement moi, moi et l’amoureux sur le banc vert au fond du square vert, et nos bras épris attentifs enroulés comme du lierre. L’univers semble devenu gris sous le ciel bouché. Mais mes yeux voient autrement. Tout est vert. Sauf mon cœur. Fantôme fondu dans l’air piquant comme l’absinthe, il nous couve de son regard las, le bon Verlaine.
   Il trône. Toujours. Autre temps. Autre saison. Age de raison, âge sans raisons. Sans déraison. Il trône, et je suis là. Le square vert m’est désert, le banc vert gît abandonné. Il pleut sur la ville, mais il pleure bien plus que larmes dans mon cœur. L’aile frémissante d’un pigeon frileux sous les feuilles noyées, les fleurs mauves et jaunes mortes, arrachées, oubliées, la terre nue, le lierre en deuil, abandonné, je reste là, mains dérisoires glacées sur le bronze rugueux, et ce sont mes larmes qui coulent des yeux clos de Verlaine.

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