dimanche 28 octobre 2012

Parchemin




Ce papier mort
Que je serre dans ma main
Avion écrasé
Où tu avais écrit

ALBATROS

Un jour où nos regards
Se croisaient là-bas
Bien au-dessus de leurs têtes

mardi 16 octobre 2012

Cénotaphe amoureux



Nous nous embrassions dans ce rêve
Un crabe fou courait entre nos langues
Tous mes bras t’enserraient
Par chaque orifice bullait l’écume
Un hippocampe au rictus figé
Autour de nos doigts incrusté
S’effritait
Des berniques en deuil tricotaient mon suaire
Gris sable sous ta peau comme scabreux cilice
Les cheveux épandus des méduses en procession
Un goéland grinçait un millième requiem
Mais nous nous embrassions dans ce rêve
Le bleu de tes entrailles était calamar fou
Dans mes fluides de nacre
Mes orbites nues hurlaient mon amour abyssal
Au long de nos plages sanctuaires
Et les algues croisées recouvraient nos dépouilles

mardi 9 octobre 2012

Quatre ans...



     Rien. Le vent soufflant vide dans une absence de rue. Acmé insondable du manque. L’eau qui s’avale elle-même. Se taire, se coudre les lèvres. Je disais que ta fumée me piquait les yeux. Mais l’infini. Mais l’illusion d’une succession de déserts. Mirage de la plaine houleuse de mots. Déferlante.
     C’est l’ennui désolant, dans la monotonie de mes paysages. Et les vagues, vagues de gouttes, perles, océans, marées… Étendues inconnues dans l'oeil de ma tourmente. Reflets. L’espace soudain démultiplié me renvoie ton fantôme. Ô miroir. Déchue amante errante dans les mêmes couloirs, je cherche les clefs de mes morgues incertaines.
     Mensonges. Menteries. Ces geysers de mots, taris. Larmes supposées, rattrapées, ravalées. Je disais que tes espaces ouverts noyaient mes yeux. Que je ne savais plus voir. Serrures acérées, entassées, démantelées, martelées, abandonnées, froides, musée de gisants.
     Labyrinthe de l’horizon, aux routes déjà tracées, tu m’englues de tes eaux molles. Cruelle buée moite de la maison des glaces. Rien que ce vent volubile, vacuité, virago. Et vanité. Je disais que mes mots étaient sans pouvoir. Mais ils demeurent. Au-delà du rien. Par-delà les bourrasques.
      Images de lettres et de voix, dans l’onctuosité morbide de ma pluie grasse. Elles étirent la solitude. Égarent les clefs. Je disais que je me détachais du reflet. Insidieuses pourtant spécieusement les larmes de ce qui est après me condamnent aux phrases captieuses, liquéfiées, dégoulinantes, spectrales, du rien.

dimanche 7 octobre 2012

Le buste de Verlaine




   Il trône là, mystérieusement énigmatique, bronze vert sous les feuillages verts, de lierre et d’herbes rouges couronné. Parfois dansent mauves et jaunes en folle farandole les fleurs frivoles au pied du buste de Verlaine.
   Il trône là, vieux Chinois désabusé, indifférent aux vents, aux pluies, aux pigeons bavards ébouriffés qui le chahutent, vieux poète désenchanté toujours oublié au fond du square vert où dort un banc vert, sempiternellement vert le banc au pied du buste de Verlaine.
   Il trône sous le soleil frais du printemps. De petits enfants jouent dans les herbes libres emmêlées sous son regard de bronze plissé. Du bout des doigts ils arrachent les pétales mauves ou jaunes, les goûtent parfois, s’accrochent au lierre taciturne, et tendent les mains vers les pigeons insolents frétillants amoureux tapageurs, mais les plumes fuient au loin, là-bas, et leurs bras retombent, comme déçus, sous le regard oblique de Verlaine.
   Il trône dans l’air immobile de l’été.  Les enfants déjà sont de petits hommes qui tentent, avec des miettes, d’attraper un pigeon. Mais les vieux emplumés se gaussent, rusés, vifs et moqueurs devant la rage des braconniers. Alors les chasseurs arrachent le lierre, lianes de fortune, et ficellent d’imaginaires ennemis. Leurs assauts flétrissent les fragiles fleurs bariolées. Barbares impudents, ils ne manquent jamais de tirer la langue au vilain monsieur vert qui ne les quitte pas des yeux, yeux étrécis, scrutateurs, ne perdant rien de leurs rodomontades. Ils lui tirent la langue en s’appliquant, hilares, et s’enfuient en sautant une dernière fois par-dessus le banc vert.
   Il trône au milieu des turbulences de l’automne. De tristes feuilles froissées jonchent le banc vert esseulé. Passent et repassent de vieilles dames mécaniques, le pas de plus en plus pesant. Dans les herbes qu’octobre ensanglante, les pigeons ne s’aiment plus d’amour tendre. Le froid s’infiltre et englue. Rêve qui erre sur le bronze vert, il a un regard profond, douloureux, mélancolique à broyer l’âme, le vieux poète. Voyageur immobile, nostalgique de pays brumeux et marins, il me scrute. Mes doigts suivent les lettres gravées que protège le lierre vigilant. Qu’as-tu donc à me dire, Paul, Paul Verlaine ?
   Il trône engourdi par l’hiver. Mutique. Nul ne sait que je suis là, au fond du square vert, endormi, déserté. Ni enfants, ni pigeons affamés ou courtisans, ni fleurs mauves et jaunes, ni même promeneurs sentimentaux. Il y a seulement moi, moi et l’amoureux sur le banc vert au fond du square vert, et nos bras épris attentifs enroulés comme du lierre. L’univers semble devenu gris sous le ciel bouché. Mais mes yeux voient autrement. Tout est vert. Sauf mon cœur. Fantôme fondu dans l’air piquant comme l’absinthe, il nous couve de son regard las, le bon Verlaine.
   Il trône. Toujours. Autre temps. Autre saison. Age de raison, âge sans raisons. Sans déraison. Il trône, et je suis là. Le square vert m’est désert, le banc vert gît abandonné. Il pleut sur la ville, mais il pleure bien plus que larmes dans mon cœur. L’aile frémissante d’un pigeon frileux sous les feuilles noyées, les fleurs mauves et jaunes mortes, arrachées, oubliées, la terre nue, le lierre en deuil, abandonné, je reste là, mains dérisoires glacées sur le bronze rugueux, et ce sont mes larmes qui coulent des yeux clos de Verlaine.

mardi 2 octobre 2012

Manège



Quand le manège s’arrête et que ton rire s’éteint
Quand ton œil erre soudain dans le mien
Je perds mes mots à trop vouloir te dire
Te dire tout ce qu’il faudrait taire
Ma peur de ne pas savoir t’aimer
Et cette enfance que je veux te faire vivre
Et tes années sans moi inconnues à jamais
Tu m’es tout tant tellement
Et si tu n’étais pas tel que je m’y vois
Je m’enfuis je nous fuis hors de ta transparence
Emprisonnée bouche turbide
De ne pouvoir te dire tout ici maintenant
Tout ce que tu sèmes en moi
Tous les mots de chaque instant pour toi
Viens prends ma bouche est pleine de ta voix
Montre mes seins que ton souffle soulève
Que mon ventre dodeline tendre entre tes mains
J’avais oublié que sans eux sans les mots je suis libre
Libre de te voir de te connaître enfin
Quand les corps se répondent le cœur las fait la trêve
Tu vagabondes dans mes bras aux regains de la fête
Quand la foule s’évapore et que le noir survient
Le jeu est à sa fin tu es pleine lumière
Je nous serre je comprends et je t’aime à tout vent
Loin des hontes regrets turpitudes tourments
L’amour pour toi est sans langage