mardi 22 mai 2012

Croupie



Bourbier implacable
Des heures mouvantes aux relents fangeux
Je m’enlise
Le corps visqueux
L’âme glauque
Les mains de roseaux transpercées
Dans la pestilence fébrile de ta boue
(Tourbière momifiée)
Et la nostalgie plus encore aspire
Que mille moustiques voraces
Et les grenouilles garces de la gâtine grasse
Braillent un hymne lacustre
Puant comme une élégie
à une autre
(Jalousie malaria du cœur)
Vieux nénuphar blet
Je m’enfonce
En mes jours marécageux
L’eau empoisonnée suinte
Crue larvée d’yeux jadis pers
Crevés de serments palustres
Ma libellule anémique
Paludéenne excroissance
Agonise
Sous un aulne livide
Cadran lunaire aux bras de joncs
Mes vases lagunaires s’étouffent
Autour du cloaque grouillant
Bayou bar à bufonidés
Où s’embourbe
Comme dans le pire marigot
Mon
Cœur, ce branlant palafitte

dimanche 20 mai 2012

Coupables



Le silence a perdu ses calmes yeux candides,
Et ses espions nocturnes me montrent du doigt…
Épinglés dans mon lit en factions sordides,
Ils fusillent sans fin mes élans nus vers toi.

De mots demain les bouches seront-elles vides ?
Devant les médisants sauras-tu rester coi ?
Dis-moi que des jaloux les semonces perfides
S’envoleront au vent mauvais de mon effroi !

Oiseaux de triste augure et esprits impudents,
N’ont-ils pour seul pouvoir que l’imprécation ?
Ils rôdent devant nous, et armés jusqu’aux dents…

Mais jamais ne ferai acte de contrition
Face à l’armée immonde qui maudit ma foi
-Pourvu que ton regard se berce sûr en moi.

dimanche 13 mai 2012

Chaînes


J’entends encore au loin le bruissement des pleurs
Dodone la lointaine exhalait un soupir
Le chêne vert d’hier semble longtemps mourir
Sous son ombre sacrée agonisent mes peurs

J’ai caressé le dieu qui rêva mes faveurs
Là-bas j’étais pythie et j’aurais pu faillir
Étreinte inachevée à goût de repentir
De Dodone je sais les subtiles langueurs

Il coule encore en moi le lourd parfum mystique
Les larmes du vieil arbre au langage magique
Sont le sang écrivant sur ta peau mon amour

Qui m’enchaîne toujours à ta quête du jour
Et m’emmène à ta suite au long du long voyage
A Dodone pourtant je ne fus point volage

samedi 12 mai 2012

Prisonnière en solitude


Je riais, et reine en mon royaume je riais.

Mais le Temps a rongé les pierres de ma muraille. Peu à peu j’ai perdu mes semelles de vent.
Mes pieds se sont ensanglantés aux pierres vives des chemins, émeraudes brisées en pluie jaillies de mes yeux.
Les corbeaux déchiraient les cieux noircis, mes mains à eux pareilles, éplorées.
Le chrysanthème de bronze hors de moi pour la gloire de lui explosé a mêlé toutes les routes.
Mon cri avait couvert l’espace des mises en garde.
Devant son ombre j’ai déposé mes cheveux : il les mange à pleine bouche.
Et je me suis enfuie face aux gargouilles ricanantes.
Humiliation de celle écartelée sur le brocart de ses théâtres…
J’ai semé mes dents sur la pierre, jamais il ne les vit fleurir, gardiennes du froid cénotaphe.
Puis est venue l’époque du silence.
La nuit aidant, les arbres avaient été éventrés dans une violence ravie.
La boue de tous les chemins a séché sur mon visage.
Et depuis la fin macabre de l’hiver, ses murs sont étoilés de mes ongles éclatés.
Je l’attends.
Il me fixe maintenant de ses orbites vides.
Puis a tiré une dague de sa gorge, et, sans un mot, lui, l’aveugle, me crève les yeux.
Triples anneaux, doubles miroirs.
Entraves qui me clouent au sol.
Se déliteront quand s’effriteront les ailes des Chimères.


Entre nous s’enlacent des Erinyes aux fouets merveilleusement pleins de sang.

dimanche 6 mai 2012

Olympie


Dans l’ombre des cyprès en ces lieux égarée
J’avoue au vain silence une pensée impie
L’espérance n’est plus que j’avais enterrée
Il n’y a plus de Dieux dans les cieux d’Olympie

Mon errance incertaine m’a désincarnée
J’entends les voix des morts riant de ma folie
A la pulvérulence ils me savent vouée
Et déroulent moqueurs l'écheveau de ma vie
 

Je vois mes souvenirs périr dans leur poussière
Écrasés tout soudain sous le pas des vivants
Ma solitude existe depuis trois mille ans

Et je sais maintenant qu’il n’est de Dieux sur terre
Ni de paix ni de foi sous les marbres brûlants :
Olympie a nié à jamais la lumière

jeudi 3 mai 2012

Catabase


Quand la lune fumeuse éclabousse la brume,
La triste délaissée enlace son démon…
Le chagrin en sa chair pèse comme une enclume,
Sous le corps de la nuit titube sa raison.

L’amoureuse enchaînée à un amant posthume
Dont le verbe menteur répète l’abandon
Laisse au monstre goûter sa sinistre amertume
Sans donner au matin la chance d’un pardon.

Et sa transe succède aux cortèges de larmes
-A son bourreau nocturne elle a rendu les armes-
Son insane désir est l’ultime mensonge.

La géhenne entraîne ses souvenirs funèbres…
La morte amoureuse dans l’Achéron se plonge
A sa rive elle boit le stupre des ténèbres.

mercredi 2 mai 2012

Lettres mortes


Je t’écris d’un pays dont je ne reviens pas. Boussoles depuis longtemps affolées, les cartes se délitent. Mes voies mènent toutes vers cet ailleurs. Seule veille la lune pleine, objectif voilé de mon univers-cyclope.
Je t’écris du plus profond de mon labyrinthe, de jardin ouvrier en jardin délaissé. Tous reflètent mon errance infinie. Dans les feuilles de rhubarbes flétries, dans l’air moite qui se fige, je perds courage.
Je t’écris, silencieuse et emmurée. Les ragondins furtifs fendent l’eau sombre. Depuis longtemps les pêcheurs sont partis. Aussi solitaires, aussi ombrageux que moi. Loin des berges, que font-ils de leurs prises ? Poissons à la chair grise, au goût de vase, comme ceux donnés par ton père autrefois. Même la petite chatte aux yeux bleus n’en voulait pas.
Je t’écris tandis que m’enlacent les branches du vieux saule. Gorgone inoffensive, il sombre lentement dans la boue de la rivière. Les insectes intrépides dansent un ballet sans fin –et tu n’aimais pas cela.
Je t’écris du chemin où marchent nos fantômes. Tu ne sais plus son nom ni les rêves révélés, mais la paume de ta main reste tatouée dans la mienne. Les chats sentinelles ne sont plus emprisonnés dedans ta pellicule. Je leur souris en passant.
Je t’écris même si tes yeux ne voyaient pas les mêmes couleurs que moi. Les roses trémières me disaient un ailleurs rose dévoré de rouge. Tu ne les entendais pas, tu allais, tu allais loin devant, vers d’autres voix aux nuances que tu as toujours tenues secrètes. A qui, à quoi prêtes-tu oreille maintenant ? A moi, tu sais, les quenouilles de la Vierge parlent toujours.
Je t’écris malgré la cacophonie. Les grenouilles encore se renvoient ton prénom et les roseaux répètent des moqueries que je ne veux pas entendre. Si souvent dans leur ombre tu m’entouras de toi, et il n’existait plus que le suave chuintement de l’eau, doux et frais comme tes promesses.
Je t’écris le flou et l’indistinct. Paysages intérieurs éphémères, engloutis pas après pas, perceptions fugitives, fragiles sensations, et mon cœur toujours qui bat la campagne.
Je t’écris le long de la rue Sainte-Scholastique. Dans la pénombre brouillée luisent mes orteils fardés de vert. Tu te rirais de moi. Sous le grand pin parasol de notre maison de rêve, une colombe esseulée. Elle fait crouuu à mon approche, et cache sa tête sous son aile.
Je t’écris dans la froideur du marbre où je m’agenouille. Une pietà éplorée défaille de chagrin. Le placide tilleul, dans sa sagesse séculaire, me dit que la pierre est pure métaphore. Je deviens ex-voto.
Je t’écris entre chien et loup. Le gardien passe en agitant son trousseau. On ferme. Les grilles se referment dans un gémissement sourd. Et puis les clefs se taisent. Les feuilles des platanes qui gardent le chemin ne tremblent plus, elles s’apaisent. Mes pas ne m’amènent plus jamais à destination.
Je t’écris de l’ombre engloutie de la colline. Les rues tortues s’entremêlent dans l’ombre qui marche. Il me semble que la cloche de l’église a sonné treize coups. Au loin, les lumières de la ville se répondent en morse. Ce qu’elles se racontent est inavouable.
Je t’écris du profond de la nuit. La pierre du calvaire ancien se désagrège. Mes doigts suivent la pulvérulence des mots latins dévorés par l’obscurité perpétuelle. On a décapité le gros néflier biscornu que j’appelais ami. Mes repères ne sont plus, rongés de déliquescence.
Je t’écris comme je ne cesse jamais de le faire. Même si mes mots muets restent lettre morte. Même s’ils meurent à mesure. Je t’écris parce qu’il ne me reste que ça.
Je t’écris d’un pays aux heures abolies. Toi tu n’as plus de montre, et moi je ne sais plus ni où, ni quand. Je n’en finis pas de me perdre, sans jamais me reconnaître. Ombre sans consistance, lare sans lendemain qui erre sur les vestiges d’un cadran solaire fracassé. Seule s’endort la lune noire, opercule bouché, oublieuse de mon monde orphelin.